Connect with us

Analyses

Etats-Unis : la crise des opiacés , une catastrophe qui persiste

le

La crise des opiacés aux Etats-Unis, déclarée comme crise sanitaire nationale par le président Trump, inquiète. Car c’est une crise qui découle de produits parfaitement légaux.

OxyContin, le médicament phare des laboratoires Purdue Pharma, est un antidouleur parfaitement légal aux Etats-Unis. Ce produit contient de l’oxycodone, un opiacé proche de la morphine et issus des graines d’opium.

Crée à partir d’une molécule découverte en 1916, ce médicament à permis à de nombreux américains, notamment ceux atteints d’un cancer, de soulager leurs douleurs. Malgré cela, la prise de l’OxyContin peut avoir des conséquences désastreuses et rendre les patients addicts, et ce même lorsque le produit est pris dans le respect des consignes.

Devenu de plus en plus populaire, le médicament, prescrit par des médecins ou en hôpitaux, est devenu un produit vendu sur le marché noir.

Lorsque la prescription d’un individu devenu addict aux opiacés expire, il peut alors tenter de se tourner vers un médecin peu regardant pour se procurer l’antidouleur, ayant parfois plusieurs médecins à la fois pour garantir un stock suffisant de médicaments, un acte qualifié de « doctor shopping ». Il peut aussi se tourner vers des fournisseurs illégaux. Parfois même remplaçant le médicament par de l’héroïne, une drogue dont l’effet est similaire, ou le fentanyl.

Un produit responsable de nombreuses overdoses.

L’OxyContin est responsable de nombreuses overdoses. Selon le gouvernement américain, la prise d’opiacés commercialisés légalement en pharmacie avait causé plus d’overdoses en 2011 que l’héroïne et la cocaïne réunies.

Les opiacés dans leur ensemble, qu’il s’agisse de médicaments prescrits ou de produits tels l’héroïne, font, selon le Center for Disease Control, le centre pour le contrôle et la prévention des maladies, 91 morts par jour aux Etats-Unis, soit plus de 33 000 morts par an. A ceux-là s’ajoutent environ 1000 américains traités aux urgences chaque jour, qui survivent à une overdose.

L’agence gouvernementale estime que la tranche d’âge la plus touchée par l’épidémie sont les 25-54 ans, particulièrement les hommes blancs, bien que les femmes soient de plus en plus concernées. Plus de 2 millions d’américains auraient souffert d’une addiction à ces substances en 2014.

Les états les plus touchés, géographiquement éloignés, sont le New Hampshire (nord-est), le Kentucky et la Virginie de l’Ouest (sud-est), ainsi que l’Ohio (Midwest). Mais l’épidémie s’est rapidement propagée à l’ensemble du pays, comme l’illustre The Guardian.

Toutes les populations sont touchées.

De nombreuses grandes figures ont été victimes des opiacés, légaux ou non. Heath Ledger, le célèbre joker de Batman, avait dans son sang des traces d’oxycodone lorsqu’il fut retrouvé mort en 2008 à New York. Philip Seymour Hoffman serait mort à cause d’une overdose d’héroïne, et Prince d’une overdose de Fentanyl.

Mais les célébrités ne sont pas les seuls concernés. L’Utah, situé dans l’est des Etats-Unis, n’est pas non plus épargné par la crise sanitaire. Les mormons, qui ont leur siège à Salt Lake City, capitale de l’état, et qui représentent 65% de la population de l’Utah, sont aussi touchés par les opiacés. Pourtant, leur culte interdit les drogues, l’alcool, le tabac et même le café.

En 2014, un quart des adultes de l’Utah, qui regroupe au total près de 3 millions d’habitants, était sous prescriptions pour des antidouleurs à base d’opiacés.

Carol Moss, membre démocrate de la chambre des représentants de l’Utah, voit le culte strict mormon comme l’une des causes de la propagation de l’épidémie. Elle estime que, les médicaments étant obtenus légalement auprès d’un médecin, ils ne sont pas considérés comme dangereux ou comme une drogue par des individus aux règles d’hygiène de vie pourtant très strictes, et que la prise de ce qui est en réalité une véritable drogue addictive devient une façon de se détendre, comme pourrait l’être le fait de boire un verre ou de fumer une cigarette pour certains, dans une société où une forte pression est mise sur les individus pour les pousser à exceller constamment.

Selon le département de santé de l’Utah, un individu meurt d’overdose chaque jour, une augmentation de 400% par rapport à l’année 2000.

Une molécule qui sauve des vies

En cas d’overdose à une produit morphinique, tel l’OxyContin, l’héroïne ou le fentanyl, une molécule, la Naloxone, peut être administrée pour déplacer la morphine et mettre fin à son action, réveillant alors la victime qui doit cependant demeurer sous surveillance jusqu’à élimination des produits de son organisme, soit près de trois heures.

En 2014, une loi a été votée en Utah permettant aux habitants de l’état de se procurer de la naloxone, afin de pouvoir administrer un traitement rapide à un proche, ou n’importe quelle victime d’un opiacé, et de leur sauver la vie.

Certains départements de police à travers le pays ont aussi décidé d’équiper leurs employés avec la précieuse molécule : les premiers secours, souvent la police ou les ambulances, ont ainsi constamment le matériel nécessaire pour mettre fin à un maximum d’overdoses.

Mais si la molécule sauve des vies, elle ne mettra pour autant pas fin à cette crise sanitaire : un travail de fond sur les prescriptions et le risque que ces opiacés représentent sera à effectuer.

Lire la suite

Analyses

A l’ombre du Qatargate, la Commission européenne continue de satisfaire le lobby du tabac

le

cigarettes contrebande

Salutaire, la déflagration du Qatargate ne doit pourtant pas laisser croire que les institutions européennes se sont lancées dans un véritable aggiornamento. Alors que cette affaire, spectaculaire par les montants en jeu, les personnalités impliquées et les images de liasses de billets diffusées dans la presse, fait l’objet d’une importante couverture médiatique, Bruxelles peine à apporter une réponse coordonnée et efficace au fléau de la corruption, beaucoup plus diffus et systémique que ne le laisse penser ce coup d’éclat. Les atermoiements entourant la décision d’augmenter les taxes sur les produits du tabac tendent à le démontrer.  

Le Qatargate, l’arbre qui cache la forêt ?

En décembre dernier éclatait le scandale du Qatargate, ébranlant les institutions européennes, et plus particulièrement le Parlement européen, confronté aux dévastatrices photos des montagnes de cash retrouvées notamment chez sa vice-présidente Eva Kaili et chez l’ancien eurodéputé Pier Antonio Panzeri. Cette affaire, dénonçait alors le député européen Raphaël Glucksmann, est le symptôme « de la faiblesse des règles et du manque de détermination politique de lutter contre ce fléau à Bruxelles ». Depuis, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola et les groupes politiques multiplient les propositions pour tenter d’atténuer la défiance des citoyens européens, à un peu plus d’un an des prochaines élections européennes.

L’erreur la plus funeste serait de tenter de circonscrire cette affaire à quelques cas isolés de députés européens et aux manœuvres d’un Etat du Moyen-Orient. Le hashtag #Qatargate, qui continue de fleurir sur les réseaux sociaux, traduit mal l’ampleur d’un phénomène, la corruption, qui gangrène les institutions européennes sous diverses formes.

Car le mal bruxellois est beaucoup plus ancré, beaucoup plus profond, et ne peut être résumé aux valises de billets qui ont été exhibées. « La corruption, ce ne sont pas seulement les valises de billets, c’est aussi le conflit entre l’intérêt particulier et l’intérêt général, la colonisation du système de décision publique par des puissances privées ou des Etats étrangers » rappelle opportunément le député européen Raphaël Glucksmann. Qui appelle de ses vœux une indispensable moralisation des institutions européennes.

Un report de la révision de la directive décidée unilatéralement par la Commission européenne… et par l’industrie du tabac ?

Pendant le scandale, le business as usual continue en effet sur fond d’arrangements entre la Commission européenne et certains lobbies, dont celui du tabac. Ainsi, la lecture, toujours instructive, des « questions parlementaires » sur le site du Parlement européen, nous permet de comprendre, grâce à une interpellation de la députée européenne Anne-Sophie Pelletier, pourquoi la révision de la directive 2011/64 sur la taxation des produits du tabac, qui devait commencer en octobre 2022, est toujours au point mort.

Pour rappel, la directive 2011/64/UE sur la taxation des produits d’accises, dont le tabac, vise notamment à imposer une taxation minimum des produits du tabac dans les 27 Etats membres de l’Union européenne pour contraindre les fabricants de tabac à augmenter les prix de leurs produits, et concrétiser l’équation posée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui considère qu’une hausse des prix de 10% entraine une baisse de la consommation de tabac de 4%.

Le prix restant l’indéniable meilleure mesure antitabac, on sait, comme le rappelle la députée européenne LFI dans sa question écrite, que l’industrie du tabac s’oppose farouchement à la révision de cette directive droits d’accises, qui ne pourrait se concrétiser que par une hausse des taxes, et par un élargissement de cette taxation aux nouveaux produits du tabac que sont le tabac chauffé, les cigarettes électroniques, les puffs ou autres sachets de tabac dits « snus ».

En rappelant que le tabagisme est responsable chaque année de 700 000 décès en Europe, et d’un coût pour les finances publiques de plusieurs centaines de milliards d’euros (120 milliards d’euros par an uniquement pour la France selon l’Alliance Contre le Tabac – ACT ), il semblait exister un consensus à Bruxelles pour concrétiser l’objectif que s’est fixé l’UE d’une « génération sans tabac » à l’horizon 2030, le Parlement européen ayant, comme le rappelle Anne-Sophie Pelletier, exigé cette révision, notamment après le Rapport de la commission spéciale de lutte contre le cancer, animée par Véronique Trillet-Lenoir, députée européenne Renew du Président Macron.

Le Parlement européen face au front commun Commission européenne/industrie du tabac

Cette décision de repousser la révision de cette directive est une nouvelle illustration de la divergence de vue entre la Commission européenne, qui reste très perméable aux intérêts du lobby du tabac, comme on l’a vu fin 2022 avec la dénonciation de l’Affaire Dentu / Jan Hoffmann, ce conflit d’intérêts sur la traçabilité des produits du tabac dénoncé par la députée européenne Michèle Rivasi et Le Canard Enchaîné, et le Parlement européen qui semble rester intransigeant face aux pressions des fabricants de tabac, comme l’avaient montré ses votes contre le renouvellement de l’accord de coopération UE / Philip Morris en mars 2016 et pour la ratification du Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite du tabac » en juin 2016, les deux fois contre les pressions, étonnamment concomitantes de la Commission européenne et de l’industrie du tabac.

Anne-Sophie Pelletier évoque d’ailleurs ce Protocole de l’OMS dans sa question écrite, dont la mise en œuvre est considérée comme le corollaire indispensable de toute hausse des prix du tabac car il empêche les fabricants de tabac d’organiser le commerce parallèle pour saper les effets de la hausse des prix. Ce traité international devrait également être introduit dans la révision de la directive droits d’accises, mais également dans celle de la Directive 2014/40/UE relative aux produits du tabac dite Tobacco Products Directive (TPD), dont on attend aussi le lancement, mais à laquelle le lobby du tabac s’oppose également, en dépit des positions des organisations non gouvernementales de santé qui réclament le changement du système pour en assurer l’indépendance à l’égard des industriels, et des experts qui se ont indignés de la potentielle mainmise des industriels sur ce système censé les contrôler. Les eurodéputés vont devoir se montrer fermes et solidaires face au front commun Commission européenne/industrie du tabac.

Lire la suite

Analyses

A Bruxelles, l’ombre d’un trafic d’influence sur le marché de la traçabilité du tabac

le

Commission européenne tabac - Illicit Trades

Dans une lettre ouverte à la médiatrice européenne Emily O’Reilly, Michèle Rivasi, députée à Strasbourg et figure de la lutte antitabac, dénonce un potentiel conflit d’intérêt dans l’attribution du très stratégique marché de la traçabilité des cigarettes au sein de l’Union européenne. En réclamant une enquête de la médiatrice, Michèle Rivasi veut en finir avec « le manque de transparence » de la Commission européenne sur les liens entre les industriels du tabac et les instances de l’UE.

Le tabac est l’un des secteurs « les plus lobbyisés » depuis la création de l’Union européenne

Au cœur des accusations lancées par Michèle Rivasi, la Tobacco Products Directive (TPD), un texte qui, à l’échelle européenne, a une influence considérable sur la lutte contre la contrebande de tabac au sein des États-membres. D’autant que le commerce parallèle de tabac entraînerait une perte fiscale nette de plus de 11 milliards d’euros par an pour les États européens. Cet acte législatif définit la stratégie européenne de traçabilité du tabac et son vote, en 2014, met fin à une intense campagne d’influence menée par les majors du secteur pour tenter d’en prendre le contrôle. « Ce texte est considéré comme le plus lobbyisé depuis la création de l’UE », s’indigne Michèle Rivasi qui rappelle qu’avec « un budget colossal avoisinant les 3 millions d’euros, quelque 200 lobbyistes de l’industrie du tabac ont arpenté les couloirs et ont multiplié les pressions sur les parlementaires, leurs collaborateurs, les fonctionnaires du Parlement européen et de la Commission » pendant le processus législatif.

Les entreprises du Big Four -Philip Morris International, British American Tobbaco, Imperial Tobbacco et Japan Tobbaco-, sont en effet de fins connaisseurs des rouages bruxellois. Une influence qui déclenche régulièrement la colère de certains parlementaires et organisations de santé publique. Deux ans avant le vote de la TPD, en octobre 2012, le commissaire européen à la Santé et à la Politique des consommateurs John Dalli avait ainsi dû démissionner pour sa proximité présumée avec l’industrie du tabac après un scandale ayant éclaboussé plusieurs hauts dirigeants bruxellois, notamment l’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso.

Une TPD trop discrètement modifiée

L’influence de Big Tobacco se ressent jusque dans les textes de loi votés par le Parlement européen. L’article 14 du premier projet de TPF, voté en 2013 à Strasbourg, et qui reprenait mot pour mot le texte de référence du Protocole de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a ainsi été finalement supprimé. Il prônait notamment la mise en œuvre d’une digue infranchissable entre les fabricants de cigarettes et le système de traçabilité de leurs produits. Une séparation qui répond aux nombreuses accusations auxquelles font face les industriels, accusés de participer directement au commerce illicite de tabac. En 2004, Philip Morris a même conclu un accord de 1,25 milliard de dollars avec l’Union européenne pour régler un différend de longue-date lié à des accusations de contrebande.

Loin d’être anodine, cette décision prise dans le cadre discret du trilogue -un cadre d’échanges restreint entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil des ministres de l’UE- permettrait ainsi de contourner l’esprit même du mécanisme de traçabilité des produits du tabac, tel que prôné par l’OMS. Une « manière de faire très suspecte », selon Michelle Rivasi, aux lourdes conséquences. Pour la députée européenne, des « actes d’exécution et délégués (NDLR. Des décisions visant préciser et appliquer des lois européennes) rédigés par la Commission européenne confient plusieurs missions importantes aux fabricants de tabac et à leurs alliés, ce qui est expressément prohibé par l’article 8 du Protocole de l’OMS ».

C’est pourtant la société Dentsu qui, le 21 décembre 2018, a raflé la mise du marché de la traçabilité des produits du tabac. « Le Groupe Dentsu Aegis Network, multinationale britannique et japonaise qui n’avait jusqu’alors jamais travaillé dans ce domaine, annonçait le rachat de Blue Infinity qui a mis en œuvre le très controversé système Codentify », résume Michèle Rivasi en précisant que « le système de traçabilité des produits du tabac Codentify, pensé et développé par Philip Morris International et pour les 4 majors du tabac comme l’affirme l’OMS, reste clairement proscrit ». A l’époque, plusieurs députés européens s’étaient émus de ne pas être associé au processus décisionnel, pris hors de tout cadre d’appel d’offres ou de mise en concurrence.

Des soupçons contre un ancien cadre de la Direction générale de la Santé de la Commission européenne

Michèle Rivasi voit dans cette décision opaque l’influence potentielle d’un haut-fonctionnaire de la Commission européenne de la Direction générale de la Santé (DG Santé), dont « la chronologie de ses va-et-vient entre la Commission et Dentsu Tracking paraît pour le moins troublante ». Jan Hoffmann était ainsi, en janvier 2021, directeur « regulatory affairs et compliance » de Dentsu Tracking au 14e Eurasian Tax Forum, un évènement organisé par une association proche des intérêts de l’industrie du tabac. Il était, un an auparavant, représentant de la DG Santé de la Commission européenne dans plusieurs sous-groupes Tracability and Security Features de la DG Santé de la Commission. « Il apparait ainsi que la Commission européenne, durant la période où y travaillait Jan Hoffmann, un haut fonctionnaire chargé des règles applicables à la traçabilité de tabac, a sélectionné la société en charge du système dans laquelle ce haut fonctionnaire allait devenir employé, et rédigé des rapports très favorables an système déployé par cette société qui, quelques mois après, recruter ce même Jan Hoffmann », précise Michèle Rivasi.

Dans ce contexte, Michèle Rivasi appelle la médiatrice européenne à conduire une enquête et annonce d’ores et déjà organiser, via le groupe informel de travail sur la révision de la directive des produits du tabac, une table-ronde en décembre prochain, consacrée cette fois au lobbying de l’industrie du tabac, de ses alliés et partenaires et ses effets sur les politiques publiques européennes. Avec, au cœur des échanges, ce que Michèle Rivasi nomme déjà « l’Affaire « Dentsu Tracking / Jan Hoffmann ».

 

 

Lire la suite

Analyses

Trafic de tabac : le rapport KPMG biaisé selon le Comité National Contre le Tabac

le

Le 23 juin 2022, l’industrie du tabac présentait son étude annuelle sur le marché parallèle du tabac conduite par KPMG. Une semaine auparavant, l’ONG Comité National Contre le Tabac (CNCT) dénonçait à l’avance les résultats de cette étude et les conclusions qu’en tirent les cigarettiers. Explications d’une polémique sur fond d’énormes enjeux financiers pour les cigarettiers. 

Le 15 juin 2022, le Comité National Contre le Tabac (CNCT) dénonçait par anticipation dans Les Echos le traditionnel Rapport annuel de KPMG sur le marché parallèle de tabac en Europe, commandité par l’industrie du tabac, rapport qui paraitra une semaine plus tard.

Données tronquées

Sans nier la réalité du marché parallèle, le CNCT dénonce deux biais dans l’élaboration de ce rapport : d’une part des données statistiques tronquées voire falsifiées, et d’autre part la « confusion sémantique » qu’entretient l’industrie du tabac via ce rapport annuel entre ventes légales hors réseau officiel de vente et commerce illicite (contrebande et contrefaçon).

Ce n’est pas la première fois que le CNCT accuse KPMG de « jouer » avec les données statistiques de ses propres études. Ainsi, en 2017, le CNCT montrait que KPMG avait modifié rétroactivement les données sur les marques blanches, les Illicit Whites” pour servir les actions de lobbying d’alors des fabricants de tabac.

Contrefaçon et statistiques dopées

Cette année, ce sont les chiffres de la contrefaçon qui, à en croire le CNCT, semblent volontairement dopés dans l’étude de KPMG. Alors que jusqu’à présent une étude de Seita-Imperial Tobacco chiffrait la contrefaçon à 0,2%, elle deviendrait aujourd’hui le problème n°1 en Europe et dans le monde, avec des hausses de plus de 600%. Pas plausible selon le CNCT.

L’ONG dénonce également la pratique des fabricants de tabac qui sur-approvisionneraient certains pays à fiscalité plus douce, pays qui serviraient ainsi de véritables plaques tournantes aux approvisionnements illégaux. Pour l’UE, le CNCT cite en exemple le Luxembourg où les cigarettiers livrent chaque année l’équivalent de 5287 cigarettes par habitant. « Un tel chiffre supposerait que chaque Luxembourgeois, adultes, enfants et bébés compris, consomme plus de 14 cigarettes par jour » dénonce avec ironie l’ONG, qui affirme pour conclure que les deux-tiers de la contrebande mondiale seraient dus aux fabricants eux-mêmes. 

Ces pratiques pourraient ressembler aux querelles habituelles entre lobby du tabac et associations antitabac. Derrière se cachent cependant des enjeux extrêmement importants pour le secteur du tabac. En tentant de montrer qu’elle est la première victime du marché parallèle, l’industrie du tabac essaie de se prémunir contre deux écueils : la hausse des taxes sur le tabac, et l’application du Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite du tabac ». 

Révision de la directive sur les droits d’accises en octobre 2022

Le débat sur la hausse des taxes sur le tabac va être au cœur de la révision de la directive sur les droits d’accises qui va débuter en octobre 2022 à Bruxelles. Habituellement, l’industrie du tabac milite pour le statu quo ou pour la hausse la plus faible possible, en mettant en avant le risque d’une explosion du commerce parallèle, et de la contrefaçon en particulier, ce qui explique pourquoi les données de KPMG ont été dopées sur ce point. L’industrie du tabac plaide donc en général pour une harmonisation fiscale au sein des 27 Etats membres de l’UE, en sachant pertinemment que cette mesure n’a aucune chance d’aboutir, les prix d’un paquet de cigarettes allant de 3€ en Bulgarie à 15€ en Irlande. Mais ce lien entre commerce parallèle et hausse des taxes n’est pas évident selon le CNCT : il serait même incorrect en particulier si des mesures fortes étaient adoptées pour empêcher les abus.

 Traçabilité indépendante et quotas de livraison de tabac par pays 

L’application du Protocole de l’OMS va, elle, être au cœur de la révision de la directive des produits du tabac qui sera discutée à Bruxelles après le renouvellement des membres du Parlement Européen de juin 2024.

Comme le constatent aujourd’hui les associations antitabac, le système européen de traçabilité opéré par des entreprises dont l’existence est associée au programme de traçabilité de l’industrie du tabac appelé Codentify, comme Inexto ou Dentsu, n’est pas conforme au Protocole de l’OMS. Contrairement à leurs affirmations ce que le Secrétariat en charge du suivi de l’application de la Convention a d’ailleurs critiqué dans un communiqué opposé aux auto-déclarations de conformité au Protocole, il ne présenterait pas les garanties d’indépendance impératives. Plus généralement, outre cette incompatibilité au droit, le système permettrait des erreurs de déclaration dans de nombreux Etats membres qui s’en sont plaints, erreurs listées par la Commission Européenne dans le rapport des experts en charge du suivi du système. 

Dans sa communication du 15 juin 2022 pour lutter contre les trafics de tabac, le CNCT appelle d’ailleurs à mettre en place le Protocole de l’OMS via deux mesures fortes : une traçabilité indépendante des produits, ce qui n’est donc pas le cas aujourd’hui en UE, et des quotas d’approvisionnement par pays. Une proposition elle aussi inscrite dans le Protocole de l’OMS depuis 2012 déjà, mais toujours pas mise en œuvre jusqu’à présent, et qui mettrait fin immédiatement aux achats frontaliers.

Lire la suite

Trending