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Opinion

Emirats Arabes Unis : derrière les paillettes et hauts buildings, le trafic d’êtres humains

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Les Emirats Arabes Unis ne sont pas qu’une plaque tournante de l’argent sale. Les liens avec le trafic d’êtres humains sont également importants, notamment dans le domaine du bâtiment. 

Seuls 16 cas de trafic d’êtres humains, incluant 28 victimes, ont été enregistrés l’année dernière selon le Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale, contre 25 cas incluant 34 victimes lors du précédent rapport annuel du Comité National contre le Trafic d’Êtres Humains. Toutefois, si les chiffres évoluent à la baisse, le trafic d’êtres humains, en règle générale, reste extrêmement difficile à quantifier. Ces cas représentent en majorité des faits de prostitution, et abus de pouvoir sur les travailleurs et travailleuses domestiques. Le milieu du bâtiment semblant, quant à lui, à l’écart de tout soupçon.

Le bâtiment, vivier secret du trafic d’êtres humains

Quelques acteurs internationaux du monde du bâtiment cherchent à faire entendre leur parole sur le sujet depuis une dizaine d’années. En 2009, Cameron Sinclair, co-fondateur d’Architecture for Humanity, prend la parole lors de la réception de son prix TED, et évoque le trafic d’êtres humains dans le milieu du bâtiment, mentionnant notamment les Emirats Arabes Unis. « Prenons un pays, celui qui a été sous les projecteurs. Cette année, plus de 300 projets immobiliers ont été mis en attente aux Émirats arabes unis. Derrière les titres se dépeint le sort des travailleurs de la construction souvent sous contrat. La totalité de ces 1,1 million de travailleurs. » explique-t-il, avant de poursuivre,  « Principalement indiens, pakistanais et népalais, ces travailleurs risquent tout pour gagner de l’argent pour leurs familles restées au pays. Ils paient un intermédiaire à des milliers de dollars et arrivent à se retrouver dans des camps sans eau, sans climatisation et très souvent, leurs passeports retirés. »

Rachid*, travailleur pakistanais, y a réchappé de peu. « Quand je suis arrivé ici (à Dubaï) en 2015, j’ai d’abord atterri sur un chantier énorme, avec des conditions de vie déplorables », souligne-t-il, « on m’a effectivement volé mon passeport, je ne savais pas comment m’en sortir ». Rachid dépeint un tableau des plus accablants. « Je travaillais sans relâche, parfois sans aucune pause dans la journée », dit-il en baissant les yeux, comme honteux, « j’ai dû perdre dix kilos en trois semaines, je ne mangeais pas du tout à ma faim. Ce n’est pas ce que ma famille attendait de moi ». Comme d’autres travailleurs dans son cas, Rachid a fini par quitter le pays pour revenir au Pakistan, laissant derrière lui ses rêves de salaire décent, les attentes de sa famille restée au pays, et plus de 2500 dollars aux passeurs malintentionnés qui l’avaient accompagné jusqu’à Dubaï avant de l’abandonner à son sort.

Pour Khaled, Indien de 29 ans, l’histoire va plus loin encore. L’homme brûle d’envie de nommer le groupe pour lequel il travaillait, mais ayant encore les pieds aux Emirats Arabes Unis, il se fait violence et taira les coupables. « C’était en 2008, je n’étais pas bien âgé », explique-t-il, « je suis arrivé aux E.A.U. afin d’intégrer un chantier déjà en cours ». « Ça a été directement la spirale de l’enfer. On m’a d’abord dit qu’il y avait des frais d’embauche, on m’a fait signer une feuille que je n’ai pas su lire », poursuit-il, « je n’avais pas de traducteur, et n’ai su que le mois d’après, en ne voyant pas ma paie arriver, que ces frais d’embauche, équivalents à plus de deux ans et demi de salaire, seraient prélevés sur ma paie. Je n’avais donc rien pour vivre, et étais condamné à accepter des conditions de vie inhumaines. » Ces conditions, Khaled les aura supportées jusqu’au bout. Deux ans et demi plus tard, il quitte le chantier et s’engage auprès d’une autre société. Il ne l’a pas quittée depuis, et dit s’y plaire. « De toute façon, après ce que j’ai vécu, je pense que je peux tout encaisser », conclue-t-il.

En apparence, un contrôle accru depuis 2013

La pression sur les Emirats Arabes unis n’est pourtant que récente, puisqu’elle remonte à 2013,  et trouve une raison bien précise à son émergence : l’organisation par le pays de l’Exposition Universelle de 2020. Sous l’œil de la communauté internationale, aucun faux pas n’est autorisé. Toutefois, loin du tumulte des constructions destinées à cette exposition, le trafic d’êtres humains continue de pulluler, et les mesures préventives et répressives contre ces pratiques tardent à émerger.  Un point soulevé par Amnesty International dans son rapport 2017-2018. « (En 2017) Les travailleurs migrants, qui formaient l’immense majorité de la main-d’œuvre dans le secteur privé, étaient toujours en butte à l’exploitation et aux mauvais traitements. Ils restaient liés à leur employeur par le système de parrainage (kafala) et étaient privés des droits à la négociation collective. » écrivent-ils, « Les syndicats demeuraient interdits et les travailleurs étrangers qui participaient à des grèves risquaient l’expulsion et l’interdiction de revenir aux Émirats arabes unis pendant un an. »

La Loi fédérale n° 10 de 2017, limitant le temps de travail et prévoyant un repos hebdomadaire, 30 jours de congés payés annuels et le droit de conserver ses papiers d’identité, n’est entrée en vigueur qu’en septembre l’année dernière. Ce texte semble alors permettre la rupture de contrat par les salariés si leur employeur ne respecte pas l’une des clauses, et précise que les litiges seraient traités par des juridictions spécialisées ainsi que par les tribunaux. Toutefois, malgré l’entrée en vigueur de ce texte, les salariés, travailleurs migrants, restent à la merci d’employeurs les accusant d’infractions définies en des termes trop vagues et généraux, telles que le fait de « ne pas avoir protégé les secrets de leur entreprise », passibles de peines pouvant aller jusqu’à 100 000 dirhams émiriens d’amende (27 225 dollars des États-Unis) ou six mois d’emprisonnement.

Amnesty International poursuit, et alarme sur la situation actuelle : « En septembre, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est déclaré préoccupé par le manque de suivi et d’application des mesures visant à protéger les travailleurs migrants, ainsi que par les obstacles auxquels ceux-ci étaient confrontés pour accéder à la justice, notamment leur réticence à déposer plainte par crainte de subir des conséquences négatives. » Si les autorités tiennent leur responsabilité dans la situation dépeinte, pour Cameron Sinclair, le secteur privé doit, lui aussi, être mis en cause. « Il est facile de pointer du doigt les autorités locales et les autorités supérieures, mais n’oublions pas que c’est le secteur privé qui est également, sinon plus, responsable », soutient-il.

L’absence de mise en application des directives, pourtant officiellement en vigueur, et la restriction de la liberté d’expression et d’association laissent de beaux jours au trafic d’êtres humains dans le domaine de la construction aux Emirats Arabes Unis, semble-t-il.

 

 

Crédit photo: N3wjack / Flickr

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Analyses

Drogues récréatives : le protoxyde d’azote ne fait plus rire

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Le protoxyde d’azote ou « gaz hilarant » est sorti des cuisines et milieux médicaux pour venir investir les soirées étudiantes et milieux défavorisés en tant que « drogue récréative ». Panorama du phénomène.

Jeudi 8 octobre à Lesquin, dans le Nord de la France, le sujet est une nouvelle fois mis sur la table lors d’une réunion, rendue publique cette fois : la consommation de protoxyde d’azote inquiète à la fois les professionnels de santé et les familles. « Diffusé dans un masque avec de l’oxygène, cela permet de détendre un patient », explique le docteur Sylvie Deheul, du centre d’addictovigilecnce du CHRU de Lille, « c’est un médicament qui fait l’objet d’une surveillance au sujet de ses effets ». Le problème, c’est que la consommation de ce gaz, également utilisé dans les siphons, pour la chantilly par exemple, dépasse aujourd’hui le cadre médical. Hors de ce cadre, n’étant pas soumis à la régulation des médicaments, il peut ainsi être obtenu sans ordonnance ni contrôle, point de départ du trafic.

Aux origines du trafic, le Royaume-Uni

Lorsque l’on remonte le fil du trafic, c’est au Royaume-Uni que l’on atterrit. D’une consommation en festival à la rue, il n’y a eu qu’un pas, franchi aisément. Ce que l’on appelle là-bas « Hippy crack » a rapidement suscité l’intérêt d’une jeunesse à la recherche de légèreté et d’évasion à peu de frais. Le protoxyde d’azote, dont la consommation reste légale contrairement à sa vente sans autorisation préalable, a investi les rues de Londres au détriment de la santé publique, mais également de l’environnement, les ballons de baudruche et cartouches jonchant les trottoirs après consommation. Les vendeurs, eux, se trouvent à bien des coins de rue, gonflant des ballons parfois marqués d’un sigle propre au réseau de vente.

Dans un but dit « récréatif », la consommation de protoxyde d’azote, lorsque répétée, peut entraîner de nombreuses conséquences, parfois mortelles. Un jeu dangereux donc, les consommateurs déployant le gaz dans un ballon de baudruche avant de l’inhaler. L’absence d’oxygène peut alors engendrer bien des dégâts, notamment neurologiques puisque le produit en question inactive la vitamine B12, à la base d’une bonne innervation. « Gelures pulmonaires, nasales et laryngées, détresse respiratoire, accidents dus à un manque de vigilance, anxiété et panique, hallucinations pouvant devenir chroniques, malaises, cerveau et nerfs atteints, complications neurologiques et atteintes de la moelle épinière », liste le docteur Deheul, avant de pointer du doigt une dépendance psychique rendue possible par une consommation excessive du produit.

Outre les conséquences directes sur la santé de celui qui inhale ce gaz en dehors d’un cadre médical, le risque de provoquer un accident sous les effets du produit reste réel. En juillet 2019, cinq jeunes sont morts sur le coup après avoir percuté un café à Kortessem, en Belgique. Dans la voiture, la police a retrouvé des cartouches du fameux gaz, sans pouvoir toutefois établir de lien direct entre l’accident et la prise de gaz hilarant. Le fait-divers aura au moins relancé le débat sur le protoxyde d’azote, qui aurait occasionné 17 décès en Angleterre entre 2006 et 2012, et deux décès en France depuis 2016, cette pratique s’étant propagée outre-Manche depuis quelques années déjà. « C’est peut-être peu pour les autorités publiques, mais en tant que parent, c’est effrayant », confie Maëlle, 42 ans. La mère de famille a surpris son fils de 13 ans en pleine consommation dans une rue adjacente à la sienne. « Les personnes qui vendent ce produit aux mineurs se foutent des conséquences, et les plus jeunes consommateurs y voient simplement le côté ‘rigolo’, ils ne vont pas se freiner, ils n’ont pas peur », déplore-t-elle, inquiète.

Le protoxyde d’azote, des soirées étudiantes aux HLM

En vente libre dans les magasins ou sur Amazon par lot de 50, 100 ou plus à faible prix, les cartouches de protoxyde d’azote sont faciles d’accès. En France, ce gaz hilarant, on l’a d’abord trouvé dans les soirées, du côté des étudiants en médecine. « A mon week-end d’intégration, on m’a demandé d’en consommer », souligne Edouard, 23 ans, étudiant en médecine à Paris, « pour les organisateurs, c’était un clin d’oeil au milieu médical, je me suis pas posé plus de questions que ça sur les effets, du coup ». Les soirées s’enchaînent, les propositions aussi, et Edouard note une consommation croissante du gaz hilarant par ses camarades au fil du temps, dépassant le cadre festif. « Je pense qu’on en consommait à la fois pour l’amusement en soirée, mais aussi pour combler le stress de nos études », soupire-t-il. Un moyen de s’évader brièvement, puisque les effets du gaz ne durent que dix à quinze secondes. « C’est court, donc on réitère encore et encore », poursuit l’étudiant, « j’avais des amis qui pouvaient consommer trente, quarante, voire cinquante cartouches en une soirée ».

Raphaël a fait partie de ceux qui ont orchestré le trafic au coeur de ces soirées étudiantes. « J’ai fait ça pendant quelques années, ça m’a permis de payer mes à-côtés, d’arrondir les fins de mois », se remémore-t-il, « c’était facile et légal ». Un trafic récréatif pour ce jeune homme issu d’un milieu aisé. Comme d’autres, il le faisait « comme ça, parce qu’il y avait un filon ». Lorsque l’un de ses amis finit à l’hôpital, le jeune homme stoppe tout. « Il n’y avait rien de grave, mais j’ai eu peur sur le coup, j’ai lu tout ce qu’il y avait à lire sur les risques encourus lors de la consommation de ce gaz, et j’ai flippé », explique-t-il, encore honteux. Depuis, plusieurs campagnes de prévention ont été menées, du collège à l’université. Le problème, c’est que la consommation de protoxyde s’est largement propagée dans les milieux plus précaires, au pied des HLM, bien souvent à l’écart de ces campagnes, et donc oubliée.

« Vous croyez qu’on va aller lire ce qu’on risque en prenant ça, alors qu’on le prend justement pour oublier que la vie est pourrie pour nous ? », lance Yanis, amer. Le jeune homme de 19 ans vit en cité HLM, dans le Nord de la France, depuis sa naissance. « Mis à part tout nous interdire, je vois pas trop ce qu’on fait pour nous », poursuit-il, « je sais que c’est pourri, c’est du gaz, c’est une drogue, mais juste pendant quelques secondes j’oublie tout, c’est déjà pas mal ». S’il assure ne pas en abuser, le jeune homme avoue également ne pas connaître les possibles conséquences d’une consommation excessive, dont se vantent certains de ses amis. Véritable exutoire face à un quotidien précaire difficile, la « drogue du pauvre » s’est ainsi trouvé un nid. « Ici, t’as le droit au proto ou aux drogues coupées, on récolte que de la merde, de toute façon », soutient Yanis, « au moins on sait ce qu’il y a dans ces cartouches ».

Le Nord en lutte contre ce trafic

Le département, par sa proximité avec l’Angleterre, est particulièrement influencé par le phénomène. Pour lutter contre celui-ci, c’est à La Madeleine que le premier arrêté a été lancé, suivi par Marquette-lez-Lille, Saint-André et enfin Marcq-en-Baroeul. Dans ces villes, la vente de cartouches de protoxyde d’azote aux mineurs y a été interdite. Cet arrêté vise une liste précise de commerces tels que Carrefour, Match, Monoprix… liste dont le contenu varie selon les villes concernées. Il interdit également la consommation desdites cartouches dans un périmètre défini. Plusieurs villes en France ont fait de même, la consommation de ce gaz se propageant rapidement sur le territoire. A Nîmes, ville concernée également par le problème, un arrêté similaire a ainsi été pris en septembre, interdisant à la fois la vente aux mineurs et la consommation de protoxyde d’azote par lesdits mineurs.

« C’est loin d’être suffisant », explique Dalia, mère de famille à Marquette-lez-Lille, « nos jeunes vont tout simplement commander les cartouches en ligne et les consommer ou les revendre ailleurs. On met du sparadrap sur une plaie béante, voilà tout ». Des craintes confirmées par Noah*, 27 ans, dont la revente des cartouches vient « mettre du beurre dans les épinards ». « J’arrive à stocker les cartouches en dehors des villes où la revente aux mineurs a été interdite, et je continue mes bails », souligne-t-il, « Si on est pauvres, s’il y a une demande pour ce gaz, c’est aux politiques qu’il faut s’en prendre, pas à nous. On ne nous aide pas, alors on fait comme on peut pour s’en sortir ». Noah refuse toute responsabilité face aux conséquences d’une consommation excessive de la part de ses clients. « Moi je vends, c’est à eux de faire gaffe », lance-t-il.

A Mons-en-Baroeul, Illicoop, coopérative informelle en partenariat avec le Centre Social Imagine, a également décidé de prendre le problème à bras le corps en installant un bac de collecte de cartouches vides dans le local du centre social. N’importe qui peut venir remplir ce bac, c’est même encouragé. A 500 euros la tonne chez les ferrailleurs, l’aluminium composant les cartouches de protoxyde d’azote, une fois revendu, permettra à la fois de rémunérer les « coopérants », mais également de financer une campagne de prévention contre cette « drogue du pauvre ». De mi-juillet à fin août, la coopérative a ainsi ramassé 100kg de cartouches à travers la métropole lilloise.

Les drogues récréatives, une histoire qui se répète… et se réinvente

Lorsque l’on évoque les « drogues récréatives », ce sont bien souvent les psychostimulants, produits hallucinogènes et vasodilatateurs sexuels qui sont évoqués les premiers. Dans un sondage portant sur les risques potentiels de la prise de neuf drogues dites « récréatives », réalisé en 2017 avec plus de 115 500 participants de 50 pays, le Global Drug Survey a permis de classer ces drogues selon leur dangerosité. Premières du classement, les métamphétamines, suivies du cannabis synthétique, puis de l’alcool, devant la MDMA, les amphétamines, la cocaïne, le LSD, le cannabis et les champignons hallucinogènes.

Si le protoxyde d’azote ne figure pas dans ce classement, comme bien d’autres gaz détournés de leurs usages initiaux, son inhalation n’en est pas moins dangereuse, et fortement déconseillée. A ce jour, le trafic bat toujours son plein, les cartouches jonchant encore les sols des quartiers, bien souvent défavorisés et démunis face au phénomène.

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Experts

[Tribune] « En France, les chercheurs n’ont pas leur mot à dire sur le crime organisé »

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OPINION. Un temps chercheur associé au Cired/CNRS, Thierry Colombié est l’auteur d’une quinzaine de livres sur la délinquance économique et financière, le Milieu, la pègre ou le grand banditisme en France. Il regrette aujourd’hui, dans cette tribune, l’inexistence de centres de recherche sur la criminalité organisée, dans l’Hexagone, . Comme si finalement ces thématiques (le crime organisé, la mafia, la corruption et le blanchiment, l’argent du terrorisme…) ne nécessitaient pas le travail des chercheurs, ou n’étaient l’affaire que des magistrats, policiers ou journalistes. 

« En France, il existe un Office Central de Lutte contre le Crime Organisé, mais pas d’Observatoire, d’Institut, au mieux un pôle de recherche multidisciplinaire visant à produire continuellement de la connaissance sur ce que d’aucuns considèrent comme le fléau de l’humanité. En France, seuls savent, c’est en tout cas ce que vous croyez savoir, ceux qui combattent et défont le crime organisé, seuls savent ceux qui sont et font la pègre, le Milieu, le grand banditisme.

En France, contrairement aux autres pays, il apparaît que la production de connaissances d’individus qui ne sont ni policiers, ni magistrats, ni journalistes, c’est-à-dire des chercheurs indépendants, ni juges, ni partis, formés par l’université française, ne participe pas à comprendre le monde qui nous entoure, ce qui est invisible et qui échappe notamment à la comptabilité nationale, ce qui est visible et qui produit directement et indirectement, inéluctablement et au moins depuis un siècle, des revenus, des conflits, des systèmes, des carrières, des rumeurs, des fake news, un fléau qui nourrit nuit et jour des faits divers, sans produire le moindre débat, sans convoquer des commissions parlementaires ou sénatoriales. En guise de réponse, pour le moins ironique, des trafiquants ont lancé dernièrement une pilule nommée Benalla. Lui, au moins, c’est la mouche au milieu du verre de lait, la montagne qui accouche de la souris, si ce n’est l’arbre qui cache la forêt….

En France, les chercheurs n’ont pas leur mot à dire, leurs problématiques à poser, des systèmes de lutte, de soins à questionner, ni de réponses à donner aux pouvoirs publics, à vous dans votre quotidien, en anthropologie, sociologie, histoire, géographie, en économie ou en géopolitique. En 2016, un rapport de l’INHESJ a estimé que le pays compterait 400.000 personnes liées directement (pas indirectement) au trafic de drogues. Sans compter les autres trafics, escroqueries et consorts.

Une entreprise aux multiples facettes dont on ignore presque tout, sauf à l’habiller (depuis au moins trente ans) du costume du caïd des cités, basané, balafré, animal, asocial, celui que l’on sort tel le diable avant les élections, mais que l’on va draguer en catimini entre les deux tours d’un scrutin pour forcer le destin national. En échange de quoi ? Ne dit-on pas, quel que soit le marché, que le client est roi mais que le roi n’est rien sans ses clientèles ?

Vous êtes sceptique. Un chercheur, ça sert à quoi, heing ? Poussons le bouchon plus loin. En France, le crime organisé n’existe pas. Pour preuve, nos responsables politiques n’en parlent jamais, ou presque jamais ! Vous avez la réponse dans la forme exclamative. S’ils n’en parlent pas, ou presque, c’est justement parce qu’ils ne peuvent pas partager le savoir, celui que les chercheurs seraient en mesure de leur procurer.

Allons encore plus loin : si le crime organisé n’est pas français, il est surtout italien, russe, américain, je sais pas moi, mexicain ! C’est évident ! Que savez-vous de la présence des entreprises criminelles étrangères sur le sol français, métropolitain et ultramarin, en premier lieu des firmes italiennes, russes ou mexicaines ? N’allez pas tout de suite sur un moteur de recherche pour y trouver une réponse. Spontanément, vous ne savez pas. Rien. Nada. Vous ne savez pas, par exemple, que les mafieux italiens décrivent la France comme le « royaume des Affranchis », et vous ne voulez pas le savoir. La loi du silence ne s’applique pas qu’aux seuls affranchis : elle pèse de tout son poids sur tous ceux qui continuent à considérer que seuls les policiers, les magistrats et surtout les journalistes, leurs principales courroies de distribution, ont le monopole de la production de connaissances. Le monopole d’un système qui n’est jamais remis en question. Pas même questionné par les Gilets Jaunes.

En France, il est vrai, nous ne sommes pas à un paradoxe près, surtout lorsqu’on en est réduit à chuchoter les deux règles élémentaires de la première entreprise privée, tout business confondu : sans blanchiment, pas de trafics ; sans corruption, pas de… crime organisé. »

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Opinion

L’échec de la prohibition au Bihar

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Cette État indien ayant instauré une politique de prohibition n’arrive pas à faire respecter ses règles face au trafic d’alcool

La lutte contre l’alcool au Bihar est un tel échec que la police semble avoir renoncé à appliquer la loi. Chaque semaine le marché d’alcool illégal de Dheerja Pul Bazaar opère sous les yeux des agents. L’alcool est pourtant illégal dans l’État du Bihar depuis avril 2016. Ce marché se tient dans la région rurale de Dobhi dans le district de Gaya. Il n’est certes pas fréquent de croiser des personnes ivres mais on rapporte que ces marchés d’alcool illégaux sont en plein expansion. Tout pointe vers un échec retentissant de la politique de prohibition.

Production artisanale illégale

Certains rapportent que dans la région tribale du village de Gurpa les trafiquants d’alcool opèrent malgré les risques. On rapporte que les trains s’arrêtent dans ces régions isolées et des groupes de passagers achètent de l’alcool au verre dans ces petits villages. En effet la population des villages tribaux produisent toujours de l’alcool en abondance. Ce trafic illégal est également hors de contrôle dans le district de Champaran ; des liqueurs artisanales vendues par gourdes entières sont en vente dans le réseau local.

Ces gourdes de 250ml se vendaient auparavant comme des petits pains à des prix battant toute concurrence ; 10 roupies, soit 0,13 euros. Avant la prohibition on dénombrait 6000 vendeurs d’alcool dans tout le Bihar. Aujourd’hui ces gourdes ne se vendent qu’à quelques endroits spécifiques. De plus leur prix est désormais entre 150 et 200 roupies ; entre 1,90 et 2,55 euros. Ce commerce est devenu extrêmement lucratif pour les trafiquants d’alcool.

L’inefficacité de la police

Il semblerait que nombre de femmes venant des tribus endossent le rôle de trafiquant d’alcool. Ceci est ironique car la prohibition avait été décidée en partie suite à une protestation de femmes contre l’alcoolisme. Dans le Champaran la production d’alcool s’effectue dans les zones forestières ; notamment à proximité de la rivière Gandak. Les boissons traditionnellement produites sont le Mahua, Mahua Meetha et Chulhai. On nomme ces petites productions illégales « adda ».

Dernièrement une opération de police contre un « adda » a occasionné des blessés chez les agents ; les femmes leur ont lancé des briques avant de s’enfuir. Cet évènement a eu lieu au village de Sirisiya. Dans cette région les trafiquants opèrent en groupe. Il arrive que les villageois aient peur de les dénoncer à la police par crainte pour leur vie. Ce genre d’incident n’est pas rare. Les policiers refusent de le reconnaître publiquement mais ils peinent à reprendre le contrôle. Une opération récente a cependant permis de désorganiser le trafic ; cinq trafiquants et 110 cartons d’alcool ont été saisis dans l’ouest du Champaran.

La prohibition au centre des conversations

Il arrive également que des habitants du Bihar aillent jusqu’à traverser la frontière avec le Népal pour se fournir. De l’autre côté de la frontière des « sarais », poussent comme des champignons pour servir les clients en alcool. Le problème est le même dans les États indiens voisins du Bihar où l’alcool est légal. La police promet de renforcer la surveillance sur 500 trafiquants présumés. Cependant des scandales à répétition ternissent la réputation de la police. Les agents du Bihar ont par exemple prétendu que les rats étaient responsables de la disparition de 900 000 litres d’alcool saisis.

La corrélation de la corruption policière, de l’accès aisé à l’alcool, d’une production locale importante font qu’il est difficile d’imaginer une application stricte de la prohibition. Il faut aussi ajouter la perte de revenu importante que ceci constitue pour l’État. D’autres États ayant instauré cette politique, comme le Gujarat, commencent à assouplir leurs lois. Seul le Bihar semble déterminé à continuer cette prohibition inefficace et contre-productive.

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