Trafic d'êtres humains
Crime organisé : le trafic de migrants en Libye

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Par
Margaux Duquesne
Kidnapping, demandes de rançon, torture, viols, ventes d’esclaves, détention dans des conditions indignes… Depuis des années, les exactions découlant du trafic de migrants en Afrique sont de notoriété publique. Ces réseaux criminels reposent sur un système structuré et organisé.
Dans son article « Éclairage sur une criminalité plurielle : les migrants de la Corne de l’Afrique », la chercheuse Sonia le Gouriellec, maîtresse de conférences en Sciences politiques à l’Université Catholique de Lille et spécialiste de la Corne de l’Afrique, réunit les principales connaissances actuelles sur le sujet.
Ce article a été publié dans l’ouvrage collectif Africa Connection – La criminalité organisée en Afrique, paru le 23 mai 2019 aux éditions La Manufacture de Livres. Dans ce livre, plusieurs chercheurs explorent des thématiques contemporaines de la criminalité organisée en Afrique, sous la direction de Laurent Guillaume, ancien policier et aujourd’hui consultant pour divers organismes internationaux.
Nous nous intéressons ici à tout ce qui concerne l’organisation du trafic de migrants en Libye, son fonctionnement et les différents acteurs de ces réseaux criminels. Nous laisserons ainsi de côté, malgré son grand intérêt pour la compréhension du sujet, la partie du travail de Sonia Le Gouriellec qui concerne les causes (géopolitiques, socio-économiques, environnementales) des différents mouvements migratoires observés dans la Corne de l’Afrique. Rappelons toutefois que la Somalie, l’Érythrée et le Soudan comptent plus d’un demi-million d’individus en exil pour l’année 2017, des données globalement en hausse, qui ont amené les trafiquants à se professionnaliser de plus en plus. Leurs réseaux s’apparentent aujourd’hui à des organisations transnationales hiérarchisées et très structurées.
La « diplomatie des frontières »
La Libye a accueilli depuis de nombreuses années, sous le régime du colonel Kadhafi, des travailleurs immigrés. En 2011, avant la chute du régime, on comptait près de deux millions de ces migrants dans le pays. Leur présence était d’ailleurs un moyen de pression pour négocier avec les États européens, ce que la journaliste Nancy Porsia a appelé « la diplomatie des frontières », une manière pour le dirigeant libyen d’obtenir la reconnaissance internationale et le soutien pour vaincre ses ennemis.
En 2008, l’Italie et la Libye signent un traité d’amitié pour lutter contre la migration illégale : un an plus tard, Mouammar Kadhafi se lance dans la lutte contre les réseaux de trafiquants et de passeurs. L’opération est une réussite : les départs diminuent de près de 90% en deux ans.
Puis vient la Révolution de 2011 :
« Les passeurs sont alors relâchés et poussés par le régime à entasser les migrants dans des bateaux et à les envoyer en Europe par vengeance contre le soutien des pays européens aux révolutions sur le terrain », rapporte Sonia Le Gouriellec dans son étude.
Cette année-là, 59 000 personnes traverseront la Méditerranée, depuis la Tunisie et la Libye, pour arriver en Italie. 1800 migrants mourront en mer.

Exemple de l’impact des accords diplomatiques sur les mouvements migratoires.
L’évolution des routes de l’exil
La route qui mène les migrants vers l’Italie est appelée « Route du Nord » ou « Route de la Méditerranée ». Pour arriver en Libye, il y a trois passages principaux : une route qui passe par le Darfour, à l’est du Soudan ; une deuxième qui traverse Dongola dans le nord du pays, et la dernière route qui relie le Tchad à la Libye. Le nombre de migrants empruntant cette route n’a cessé d’augmenter jusqu’en 2017.
Depuis, on observe un déclin qui s’explique par plusieurs raisons : l’augmentation du nombre d’interceptions, de détention et d’expulsions de réfugiés et de migrants par les forces soudanaises ; l’action renforcée de lutte contre la migration irrégulière en Égypte ; un possible ralentissement de l’émigration érythréenne ; une augmentation du nombre de personnes s’installant le long des routes migratoires ou dans les principales villes transit, plutôt que d’aller en Europe.

Route du Nord ou route de la Méditerranée centrale. Source : Study on Migration Routes in the East and Horn of Africa
Les routes de la Libye et de l’Égypte sont particulièrement dangereuses pour les migrants en raison de la contrebande, de la traite et des enlèvements. L’est du Soudan est également devenu un lieu d’enlèvement et de torture, avec demande de rançon, ventes de personnes et d’organes.
De son côté, le nombre de migrants empruntant la Route du Sinaï, qui relie la Corne de l’Afrique à Israël, s’est considérablement réduit depuis 2012. Un phénomène qui s’explique par des politiques migratoires restrictives de l’Égypte et d’Israël, avec notamment la construction d’une clôture le long de la frontière entre le Sinaï et Israël ; un renforcement des contrôles aux frontières et la création d’un centre de détention.
Le trafic de migrants organisé comme une « agence de voyages »
Sonia Le Gouriellec explique pour Illicit Trade les différents types de méthodes que les migrants peuvent utiliser pour effectuer leur traversée :
« Il y a tout d’abord les « voyages organisés », une pratique qui concerne principalement les migrants de la Corne de l’Afrique. Dans ce type de voyage, tout est payé à l’avance, le prix comprend toute l’organisation, même si ensuite les migrants passeront « de main en main ».»
Ici, les personnes passent assez rapidement par la Libye, où elles ne s’arrêtent pas longtemps. Dans les villes libyennes, elles séjournent dans des habitations privées, à la périphérie des villes. Le voyage dure en moyenne deux à trois semaines. La somme d’argent, réglée pour l’ensemble du voyage en une seule fois, est parfois payée via des transferts d’argent internationaux effectués par des proches ou par des membres de leur communauté installés en Europe ou en Amérique.
Même si les migrants vont rencontrer des intermédiaires (qui les logent ou les transportent), ils sont considérés comme étant sous la protection de leur passeur, responsable, en théorie, de leur sécurité jusqu’au point d’arrivée final. Malgré cela, un grand nombre d’entre eux subissent en chemin des tentatives d’extorsion et sont revendus à d’autres passeurs lorsqu’ils séjournent dans les « maisons de transit ».
« L’autre moyen pour migrer est le voyage « step by step », continue la chercheuse. Là, c’est souvent la famille qui paye la première étape, puis le migrant paye sur place, à chaque nouvelle étape, parfois en travaillant sur la route pour pouvoir continuer. Ici, le réseau est moins organisé et hiérarchisé. »
Chaque passeur (chauffeur, transporteur, facilitateur, intermédiaire) est donc payé individuellement. Ce type de voyage peut durer plusieurs mois et est entrepris, plus généralement, par des migrants d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
Sonia Le Gouriellec nous indique aussi que, selon les passeurs, « les migrants d’Afrique de l’Est seraient plus riches car soutenus par une forte diaspora d’Amérique du Nord et d’Europe du Nord qui soutiendrait ses voyages. Certaines pratiques leur ont donné raison : quand des migrants érythréens sont pris en otage, les familles ont parfois été prêtes à payer des rançons de plusieurs milliers d’euros. »
L’enrichissement des réseaux criminels
Le trafic de migrants s’organise comme une agence de voyages, où chaque service est attribué à une ou plusieurs personnes, rémunérées pour sa tâche : le transport, le logement, la sécurité, les conseils pour savoir comment se comporter dans tel ou tel pays, etc. Ici, le migrant, au cœur du trafic, est considéré comme un client par la filière. Pour arriver en Europe, il doit dépenser de 5000 à 9500 euros.
Beaucoup d’intermédiaires de ce trafic sont des migrants eux-mêmes qui attendent leur tour pour pouvoir atteindre l’Europe. Le coût du transit est toujours plus élevé, les voyages de plus en plus dangereux à cause de la détérioration de la situation sécuritaire, de l’augmentation du nombre de checkpoints tenus par des milices armés réclamant une taxe, de la pénurie d’essence…
Les réseaux criminels impliqués dans le transit des migrants génèrent des revenus considérables grâce à leurs diverses activités : coordination du transport et « stockage » de migrants, paiement des transporteurs, corruption des agents de l’État, recours à des milices armées qui acheminent les convois de migrants, locations de vastes entrepôts, de bateaux pour traverser la mer…
Les têtes de réseaux des trafics de migrants en Libye
On peut citer par exemple l’Érythréen Ermias Ghermay, l’un des plus importants acteurs originaires d’Afrique subsaharienne impliqués dans le trafic illicite de migrants en Libye. Selon le Conseil de sécurité des Nations unies, il est à la tête d’un réseau transnational responsable de la traite d’êtres humains et du trafic de dizaines de milliers de migrants, principalement depuis la Corne de l’Afrique jusqu’aux côtes libyennes puis jusqu’à leur destination en Europe et aux États-Unis.

L’un des plus importants trafiquants de migrants : Ermias Ghermay
Toujours selon les informations du Conseil de sécurité de l’ONU, Ghermay travaille en étroite collaboration avec des réseaux de trafiquants libyens comme celui d’Abu-Qarin, dont il serait « la chaîne orientale d’approvisionnement ». Son réseau s’étend du Soudan aux côtes de la Libye et jusqu’en Europe (Italie, France, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Royaume-Uni) et aux États-Unis.
Entouré d’hommes armés, il dispose d’entrepôts, de camps de détention où sont commises de graves exactions et violations des droits de l’homme contre des migrants. Ces derniers sont ensuite emmenés à Sabratha ou Zaouïa. Les voyages qu’il organise, notamment par la mer, ont mis en danger de mort de nombreuses personnes. Les autorités italiennes de Palerme ont émis, en 2015, un mandat d’arrêt contre lui pour trafic de milliers de migrants dans des conditions inhumaines, y compris pour le naufrage survenu à Lampedusa le 13 octobre 2013, dans lequel 366 personnes ont péri.
Le 7 juin 2018, pour la première fois, le Conseil de sécurité de l’ONU sanctionne six chefs de réseaux de trafiquants de migrants en Libye : Ermias Ghermay, mais aussi Fitiwi Abdelrazak (également érythréen), et quatre Libyens, Ahmad Oumar Al-Dabbashi, Musab Abu-Qarin, Mohammed Kachlaf et Abd Al Rahman Al-Milad, le chef d’une unité de gardes-côtes. Les sanctions sont principalement dissuasives : gel de comptes bancaires, interdiction de voyager.
En novembre 2017, des journalistes de CNN publient des images montrant la vente aux enchères de migrants en Libye, ainsi que les conditions de vie dans les centres de détentions. Ce documentaire provoque à l’époque l’indignation internationale :
Sonia Le Gouriellec explique que trois opérations de police (Glauco 1, Glauco 2 et Glauco 3) ont été menées par les autorités italiennes pour éradiquer les cellules d’Ermias Ghermay. 71 mandats d’arrêt ont été délivrés dans ces opérations et le réseau en a été affaibli.
Selon l’acte d’accusation, épluché par Le Matin Dimanche, l’unité antimafia de Palerme aurait intercepté une conversation téléphonique où l’on entendrait parler le passeur éthiopien Asghedom G., partenaire en affaires d’Ermias Ghermay. Asghedom G. explique dans cette conversation que Ghermay empocherait environ 80 000 dollars par convoi de réfugiés sur des bateaux transportés de la Libye jusqu’à la Sicile. Il dit que Ghermay a assez d’argent pour « vivre très, très bien pendant vingt ans », chez lui à Addis-Abeba.
Le procès d’Elmi Mouhamud Muhidin condamné pour traite d’êtres humains et viols
Le passeur somalien Elmi Mouhamud Muhidin, 35 ans, enlèvent, avec ses hommes, les migrants et les séquestrent dans le Sahara. Torturés, les prisonniers ne peuvent retrouver leur liberté qu’une fois la rançon payée par leur famille, rackettée par téléphone.
La police italienne a arrêté Elmi M. et un procès a eu lieu. Les récits d’anciens prisonniers décrivent qu’Elmi M. confisquait les portables des migrants pour contacter leur famille. Des migrants ont été forcés de regarder d’autres prisonniers se faire torturer sous leurs yeux avec à coups de matraque et d’électrocution. Certaines femmes, quant à elles, ont raconté aussi pendant le procès les viols systématiques par leur ravisseur. Certaines d’entre elles ont rapporté qu’elles étaient parfois offertes « en cadeau » aux visiteurs de passage.
Elmi M. a été condamné à trente ans de prison, entre autres, pour traite d’êtres humains et viol. Son procès a permis de montrer ses relations avec d’autres passeurs libyens à qui il vendait des « paquets » de migrants. Le dossier d’enquête du parquet de Palerme précise que « Le groupe dirigé par Elmi M. organisait des transports de migrants qui avaient payé la rançon. Les migrants empruntaient plusieurs véhicules sur la route de Tripoli où ils étaient remis au complice Ermias Ghermay,» comme l’a rapporté Le Matin Dimanche dans son enquête.
Parmi les six chefs de réseaux de trafiquants de migrants actifs en Libye, sanctionné par le Conseil de sécurité de l’ONU, on retrouve aussi l’Érythréen Fitiwi Abdelrazak. En 2005, il ouvre un restaurant à Tripoli, lieu très populaire des trafiquants libyens. Comme l’explique Sonia Le Gouriellec, dans le livre Africa Connection, grâce à ses contacts, il a ensuite bâti une organisation criminelle transnationale structurée.
Il possède des résidences en Libye et à Dubaï et il a tissé des liens avec des membres des forces de sécurité qui contrôlent les centres de détention en Libye. Il s’est non seulement enrichi par l’argent versé par les migrants voulant traverser la Libye pour rejoindre la côte, mais aussi grâce aux libérations de migrants capturés et placés dans les centres de détention, ainsi qu’en assurant leur traversée en Italie. Ses activités financières sont gérées depuis Dubaï.
Police et diplomatie : une complicité nécessaire
Nombreux sont les passeurs qui disent entretenir de très bonnes relatons avec la police libyenne et soudoyer des fonctionnaires libyens si besoin. Selon la chercheuse néerlandaise Mirjam Van Reisen, auteure de l’ouvrage collectif qu’elle a coordonné Human Trafficking and Trauma in the Digital Era: The Ongoing Tragedy of the Trade in Refugees from Eritrea, des diplomates érythréens et des cadres du People’s Front for Democracy and Justice (PFDJ), le parti unique en Érythrée, seraient partie prenante dans les réseaux de passeurs à destination de l’Europe, notamment en Libye. Les diplomates, ceux en poste au Soudan notamment, fourniraient des documents de voyage et des services administratifs aux Érythréens contre de l’argent.
De plus, certains militaires érythréens et officiers de police sont aussi complices de ce trafic le long de la frontière soudano-érythréenne. Le versement de rançon, de migrants kidnappés en Libye, par exemple, s’effectuerait par l’intermédiaire de collaborateurs désignés par le PFDJ.
Dans une lettre adressée en 2011 au Conseil de sécurité, le Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée décrivait Mabrouk Mubarak Salim, ministre soudanais des Transports, comme étant l’un des principaux passeurs du côté soudanais de la frontière. Lui et Hamid Abdallah, un autre homme d’affaires basé à Khartoum, seraient les deux principaux leaders du trafic d’êtres humains au Soudan.
Et la chercheuse Sonia Le Gouriellec de conclure dans l’ouvrage Africa Connection : « On observe en Érythrée, au Soudan, en Libye ou en Égypte ce que Moisés Naim qualifie d’ascendance des « États-mafias » où gouvernements et groupes criminels opèrent de concert. Ces États mafieux présentent un sérieux défi et la politique d’externalisation adoptée par l’Union européenne offre de nouvelles ressources à ces acteurs, plus qu’elle ne permet d’atteindre son objectif de lutte contre ce crime organisé.»
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La police grecque a arrêté des dizaines de personnes dans le cadre d’un important cas de trafic d’êtres humains en Grèce.
Selon les autorités, le réseau de trafiquants aurait aidé des centaines de migrants à entrer illégalement dans le pays depuis la Turquie en échange de sommes d’argent considérables. L’opération a été menée conjointement par la police et l’agence européenne Frontex. Plus de 100 policiers ont participé à l’opération qui a abouti à l’arrestation de 47 personnes, dont 26 ressortissants turcs et 21 ressortissants grecs. Les suspects ont été arrêtés dans différentes parties de la Grèce, notamment à Athènes, Thessalonique et Xanthi.
Les dangereuses routes du trafic d’êtres humains en Grèce
Selon les enquêteurs, les trafiquants auraient fait passer les migrants en Grèce par des voies maritimes et terrestres dangereuses, souvent en utilisant des bateaux pneumatiques surchargés. Les migrants étaient ensuite transportés dans des camions et des fourgonnettes vers des endroits isolés, où ils étaient cachés avant d’être transportés vers d’autres pays européens.
Le trafic d’êtres humains en Grèce est un problème majeur. Le pays se trouve sur la route migratoire principale entre la Turquie et l’Europe occidentale. Malgré les efforts déployés par les autorités pour lutter contre le trafic, de nombreux migrants continuent d’entrer illégalement dans le pays chaque année.
Coincés entre l’État et les trafiquants
Les organisations de défense des droits de l’homme ont critiqué la Grèce pour ses conditions de détention pour les migrants et les demandeurs d’asile. Selon un rapport d’Amnesty International publié en 2020, les migrants en Grèce sont souvent détenus dans des conditions inhumaines et dégradantes.
Le gouvernement grec a récemment annoncé des mesures pour renforcer la sécurité aux frontières et pour améliorer les conditions de vie des migrants et des demandeurs d’asile. Cependant, les organisations de défense des droits de l’homme soutiennent que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour protéger les droits des migrants et pour lutter efficacement contre le trafic d’êtres humains en Grèce.

La crise actuelle au Sri Lanka est en train de provoquer une dramatique augmentation du trafic d’êtres humains
Les embarcations qui prennent en charge les personnes cherchant à quitter le pays sont généralement des embarcations précaires et surchargées. Les passeurs qui gèrent ce trafic sont à chercher dans de petits villages de pêcheurs. Malgré les risques, ces tentatives d’émigration illégales semblent faire de plus en plus d’émules. Malgré son aspect paradisiaque, le Sri Lanka est en proie à la plus importante crise de son histoire. Cette augmentation du trafic d’êtres humains n’est donc pas si surprenante.
Traverser l’océan Indien
Certains survivants ayant fait le voyage servent de points de contact pour les personnes intéressées. Un certain Nalaka raconte que sept ans plus tôt il a effectué le voyage vers l’Australie en compagnie de 30 autres personnes ; « C’est un voyage terrible. En mer, tout peut arriver. Je n’encourage personne à partir ». Selon la Marine sri lankaise, 1385 personnes ont été arrêtées alors qu’elles tentaient le voyage l’année passée. Ce chiffre est dix fois plus important que celui de 2021 ; seules 103 personnes avaient été stoppées.
Selon les chiffres officiels, la plupart des personnes tentant de traverser l’océan Indien essayent d’atteindre l’Australie. On sait pourtant que les mesures de sécurité de ce pays sont très élevées, sans même parler des milliers de kilomètres d’océan séparant les deux îles. Mais la crise économique pousse de plus en plus de personnes à prendre tous les risques.
Augmentation du trafic d’êtres humains et pauvreté
Cette crise est la plus grave de l’histoire du pays, depuis son indépendance de l’Empire britannique en 1948. Les réserves de devises internationales sont vides et le pays fait face à une pénurie de biens essentiels et de carburant. Cette situation semble désespérée pour de larges pans de la population. Le pays est largement endetté et attend un programme d’aide du FMI. Ce programme n’a cependant toujours pas été approuvé et risque de provoquer une crise d’ajustement au moins aussi importante pour la fiscalité du pays.
Dans cette situation, la population peine à entrevoir un avenir et cette augmentation du trafic d’êtres humains en est le signe. On estime que 311 000 Srilankais ont émigré en 2022. Ceux qui ne réussissent pas à partir par les voies légales se tournent vers les trafiquants. Il faut alors payer un peu plus de 2700 $ au propriétaire du bateau, sans aucune assurance de survie ou de succès. Les trafiquants peuvent espérer environ 82 000 $ de revenu par bateau. Des agents de renseignements du Sri Lanka essayent de surveiller spécifiquement les points de départ les plus importants. Cependant pour les défenseurs des droits de l’homme, le pays n’en fait pas assez pour mettre fin à cette situation.

Les trafiquants d’êtres humains se seraient mis à recruter activement des capitaines russes pour leurs bateaux
Des dizaines de capitaines russes auraient été embauchés pour remplacer leurs collègues ukrainiens. Ces derniers dirigeaient des navires partant de Turquie et à destination de l’Italie selon des ONG. Depuis le début de l’invasion russe, au moins 14 citoyens de ce pays ont été arrêtés par les autorités italiennes. Ces derniers sont tous accusés d’avoir transporté illégalement des demandeurs d’asile.
Les transformations du trafic
Un rapport de l’ONG italienne Arci Porco Rosso et de Borderline Europe note que les arrestations de citoyens russes dans ces affaires ont doublé. Par rapport à l’année dernière, le nombre d’arrestations de capitaines russes a donc augmenté, de même que certaines populations parmi les migrants. On note que le nombre de personnes venant de pays enclavés est aussi en hausse, comme les Tadjiks et les Kazakhs. Le nombre de Syriens et de Bengalis est aussi en augmentation. La route italienne depuis la Turquie a été établie par des Turcs comme route alternative à celle des Balkans. La longue route des Balkans est devenue de plus en plus surveillée et contrôlée.
Les trafiquants turcs ont donc commencé à utiliser des yachts rapides, souvent volés ou loués. On estime que 11 000 migrants sont arrivés sur les côtes italiennes par ce moyen. Les principaux points d’arrivée sont les Pouilles, la Calabre et la Sicile. Ces ports de départs sont généralement Izmir, Bodrum et Çanakkale. Les trafiquants recrutaient auparavant presque exclusivement des capitaines ukrainiens. La plupart avaient fui le service militaire obligatoire établi dans leur pays depuis le déclenchement de la guerre contre les séparatistes pro-russes du Donbas. Leur nombre est cependant en chute depuis février 2022.
Capitaines russes ou migrants ?
Les capitaines ukrainiens avaient un rôle fondamental et d’excellentes compétences de navigation. Le déclenchement de l’invasion a compliqué le départ des hommes en âge de combattre souhaitant fuir la conscription. Les trafiquants ont donc commencé à former des migrants pour piloter les bateaux et à recruter des Russes, mais aussi d’autres citoyens des anciens pays soviétiques. La situation est passée de quelques cas à une situation presque systématique en peu de temps.
En mai 2022, un accident a révélé que 100 migrants avaient été conduits à Siderno par deux capitaines russes et le cas le plus récent remonte à novembre 2022. Sabrina Gambino, la responsable du bureau du procureur de Syracuse explique que l’utilisation de ces bateaux de luxe est le fait d’un réseau criminel turc très organisé. La punition pour les coupables peut monter jusqu’à 15 ans de prison. La situation est encore compliquée par le fait que nombre de Russes présents dans les prisons italiennes affirment avoir eux-mêmes cherché à fuir la conscription dans leur pays. Il semblerait par ailleurs que les capitaines russes professionnels ne soient pas non plus la règle. Certains sont désignés comme capitaines par les trafiquants et servent de bouc émissaire à la justice italienne en cas de problèmes. D’autres marins sont dans des situations si compliquées qu’ils en viennent à prendre n’importe quelle opportunité d’emploi.
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